Les Origines
L'entrée en service de cet avion sort de l'ordinaire.
Pour la petite histoire, le différend qui opposait la Bayerische
Flugzeugwerke (BFW) au Luftwaffenführungsstab (Bureau des Opérations
de la Luftwaffe) remontait à 1929 et résultait d'une
haine tenace qui régnait entre Erhard Milch, directeur du
service achats de la Luftwaffe, et l'ingénieur Willy Messerschmitt
dont une commande avait été annulée par Milch,
ce qui avait acculé Messerschmitt à la faillite en
1931.
Lors du redémarrage de l'activité, Milch s'appliquait
à contrarier les plans de Messerschmitt en ne lui confiant
que des fabrications sous licence d'appareils conçus par
d'autres sociétés de construction aéronautiques
allemandes. Cette absence de soutien des autorités allemandes
obligea Messerschmitt à passer des contrats (un comble pour
l'Allemagne d'alors, dont on connait la passion pour l'aviation
!) avec des gouvernements étrangers, dont la Roumanie, pour
conserver son équipe d'ingénieurs.
Bien entendu, il ne fallut à Milch que quelques jours pour
stigmatiser publiquement l'aide que Willy Messerschmitt comptait
fournir, pour sa survie commerciale, à des ennemis potentiels
de l'Allemagne : la Gestapo effectua donc une série de visites
à Augsburg dans le but d'interroger Messerschmitt et ses
collaborateurs.
Celui-ci expliqua que sa démarche avait été
motivée par le seul souci de trouver ailleurs les ressources
que Milch et les autres membres du Reichsluftfahrtministerium (RLM)
refusaient de lui accorder.
Aucune poursuite ne fut engagée contre le directeur de la
BFW grâce à l'action de Hermann Goering, dont l'un
des collaborateurs de Messerschmitt était proche...
Les premières spécifications relatives au nouvel avion
de chasse dont voulait se doter la Luftwaffe furent définies
au début de 1934 par le C-Amt (bureau technique du RLM).
Le nouveau chasseur se présentait comme une monoplan à
aile basse, doté d'un armement minimum de 2 mitrailleuses
MG 17 de 7,92 mm, dont la structure était capable de résister
à des piqués accentués, équipé
de dispositifs anti-vrille et devant recevoir un moteur à
refroidissement par liquide de 12 cylindres en V inversé.
Les
modèles de présérie
Au
cours de ses essais en vol à partir d'août 1935, le
Bf 109A V1 atteignit la vitesse de 467 km/h, au centre d'essais
de Rechlin. L'appareil était équippé d'un moteur
Rolls-Royce Kestrel V développant une puissance de 695 ch
au décollage.
Le moteur Junkers Jumo 210A de 610 ch étant disponible, le
Bf 109A V2 fut achevé en octobre 1935.
Les premières mitrailleuses furent montées sur le
V3.
L'avion présenté par BFW ne bénéficiait
pas d'une grande popularité, du fait de la méfiance
des pilotes d'essais, habitués aux cockpits ouverts, aux
ailes à faible charge alaire et à la configuration
robuste des biplans : ceux-ci voyaient d'un mauvais oeil l'habitacle
fermé, les nouveaux procédés automatiques mis
en oeuvre au niveau de l'aile et l'importante assiette au sol du
nouveau chasseur, cause d'une réduction de la visibilité
vers l'avant lors du roulage.
Cependant, les rapports transmis par les services de renseignement
insistant beaucoup sur les importantes commandes de Spitfire passées
par la Royal Air Force (l'appareil britannique présentant
de nombreuses similitudes avec le Bf 109), plus les qualités
du chasseur de la BFW comparées à la lourdeur et la
lenteur du Heinkel 112, donnèrent définitivement l'avantage
au prototype de Messerschmitt sur ceux des sociétés
Focke-Wulf, Arado et Heinkel.
Le
premier Bf 109 B, codé V4, possédait une mitrailleuse
supplémentaire montée entre les cylindres du moteur
et tirant dans le moyeu de l'hélice.
Les Bf 109 B V4, V5 et V6 furent les premiers Messerschmitt évalués
au combat au sein du Jagdgruppe 88 en Espagne.
En
février 1937, le Bf 109 B-1 fit son apparition, la mitrailleuse
de moyeu d'hélice ayant été retirée
par suite de problèmes de refroidissement. 30 Bf 109 B-1
furent produits et engagés en Espagne, en raison de l'avantage
grandissant pris par les I-15 et I-16 sur les He 51 du Jagdgruppe
88.
Le
Bf 109 C-1, motorisé par un Junkers Jumo 210 Ga assurant
une puissance de 700 ch, disposait en plus de 2 mitrailleuses Rheinmetall
MG 17 de 7,92 mm et d'une radio FuG 7.
C'est au cours de la fabrication de la version C que la Bayerische
Flugzuegwerke changea sa raison sociale pour celle de Messerschmitt
A.G.
Le Bf 109 D produit en 200 exemplaires fut surtout un avion de transition
entre le Bf 109 C propulsé par le Jumo 210 et le Bf 109 E
sur lequel devait être monté le DB 600. La priorité
accordée aux bombardiers fit que ce propulseur fut réservé
au He 111, le RLM ayant décidé d'attendre l'assemblage
de la version E pour introduire le DB 601.
Bf 109 E-7, 64 jaune, Grupul 7 Vanatoare (le Groupe de chasse
roumain
avec l'insigne Donald Duck) opérant sur Stalingrad. Son
pilote,Tiberiu Vinca
(13 victoires), fut descendu par erreur par un mitrailleur de
bombardier
allemand au-dessus de Krasnoye le 13 mars 1944.
La phrase "Bucuresti - Moscova" était inscrite
à la craie sur le côté gauche du fuselage.
Le
Bf 109 E
Le
début de la production en grande série commença
avec la version "Emil". Il était propulsé
par un moteur DB 601A-1 et les Bf 109 E-1 sortirent des chaînes
de montage début 1939. Engagés en Espagne avec la
légion Condor, ils firent preuve d'une écrasante supériorité
sur tous les appareils de l'aviation républicaine espagnole
auxquels ils furent confrontés.
L'armement des premiers Bf 109 E-1 comprenait 2 mitrailleuses de
capot MG 17 de 7,92 mm et deux autres de voilure du même calibre.
Par la suite, ces dernières fuent remplacées par 2
canons de 20 mm qui nécessitèrent sur chacun des intrados,
l'aménagement d'un cache de forme bombée destiné
à accueillir la nouvelle arme et son magasin de munitions.
Un sélecteur permettait soit un ou les deux canons à
la fois.
Le Bf 109 E-3 avait été pourvu du nouveau DB 600Aa
développant près de 1200 ch au décollage. Fin
1939, le Bf 109 E-3 commença à supplanter le E-1 et
fit son apparition dans les unités du front.
Cependant, à la suite de l'échec apparent subi avec
l'utilisation du canon tirant dans l'axe de l'hélice, Messerschmitt
décida de construire une nouvelle variante dépourvue
d'une telle arme : le Bf 109 E-4, qui entra en service au cours
de l'été 1940. Cette version était équipé
des nouveaux canons MG FF/M, dont la vitesse initiale passait de
580 m/sec pour le MG FF à 700 m/sec.
La
naissance des Jabo Staffeln
L'idée d'employer le Bf 109 comme chasseur-bombardier naquit
à la même époque. Les combats contre les Français
avaient démontré la nécessité de mettre
en oeuvre un appareil capable d'emporter une bombe sous fuselage
que le pilote pouvait larguer à l'aide d'un déclencheur
électrique. L'Erprobungsgruppe 210 fut alors constitué
avec plusieurs Bf 109 E-1 et bimoteurs Bf 110 C pour tenter de démontrer
la valeur de cette théorie.
ayant à peine reçu quelques rudiments des techniques
de bombardement en piqué, les pilotes de l'EG 210 firent
leurs premières armes contre la navigation britannique dans
la Manche. Les résultats se révélèrent
si étonnants que tous les JG de la Luftwaffe reçurent
l'ordre de former une Staffel de chasseur-bombardier (Jabo). Cette
décision fit passer de 9 à 10 le nombre de Staffeln
d'un Gruppe.
Pour équiper ces nouvelles unités, des Bf 109 E-1
puis plus tard des E-3 et E-4, furent équipés de lance-bombes
ETC 50 susceptibles de transporter une bombe SC 50 de 50 kg et prirent
la désignation de Bf 109 E-1/B. Plusieurs Bf109 E-4 encore
en usine furent convertis en E-4/B par l'adjonction d'un lance-bombes
de fuselage ETC 250 pour une bombe de 250 kg ou quatre de 50 kg.
La
variante N
Entre temps, Daimler-Benz avait mis au point un nouveau propulseur,
le DB 601N, développant 1200 ch au décollage mais
qui, en cas de besoin, pouvait en fournir 1250 pendant une minute
à une altitude de 4500 m. Ce surcroît de puissance
était obtenu grâce aux pistons à tête
aplatie équipant ce moteur - au lieu de pistons à
tête concave - et lui donnaient un taux de compression plus
élevé de 15%. Le revers de la médaille était
que le DB 601N ne tolérait que des carburants à haut
indice d'octane (96 contre 87 pour ses prédécesseurs).
Il fut monté sur le E-4 à partir du milieu de l'année
1940. Les appareils qui en furent équipés furent naturellement
désignés Bf 109 E-4/N.
Les
versions de reconnaissance
Identique
au Bf 109 E-4, la version E-5 s'en différenciait par le montage
d'une caméra Rb 21/18 dans la partie arrière du fuselage
et l'absence des canons MG FF de voilure. Fabriqué en même
temps que le E-4, le E-5 fut employé comme avion de reconnaissance.
L'élimination de l'armement d'aile avait entraîné
un gain de vitesse qui lui permettait d'échapper aux intercepteurs
alliés. Le Bf 109 E-6, affecté lui aussi à
la reconnaissance, fut motorisé avec le DB 601N.
Les
kits de conversion d'usine
Le
Bf 109 E-7 présentait de nombreuses ressemblances avec le
E-4/N, mais avait été doté d'un râtelier
ventral sur lequel pouvaient être montés indifféremment
un réservoir d'essence auxiliaire pour les missions lointaines
ou une bombe SC 250 pour les missions Jabo à longue distance.
Cette version reçut l'un des premiers Umrüst-Bausatz
(kit de conversion d'usine) de même qu'un blindage supplémentaire
pour les radiateurs d'intrados, les parties inférieures du
moteur et les réservoirs d'essence : elle prit la désignation
Bf 109 E-7/U2.
La
variante Z : dispositif d'injection GM 1
Le Bf 109 E-7/Z était équipé d'un système
d'injection perfectionné : le booster GM1. Celui-ci fournissait
un apport d'oxygène au moteur par l'utilisation d'oxyde nitrique
à l'état liquide. Ce nouveau procédé
était efficace à haute altitude où l'air se
faisait plus rare et où la puissance du propulseur restait
soubordonnée à l'approvisionnement en oxygène.
Ce dispositif était une sorte de compensateur artificiel
d'altitude.
Les
dernières versions
Vers
la fin de l'année 1940, les versions E-8 et E-9 apparurent.
Le E-8 présentait beaucoup de similitudes avec la version
E-1 ; il possédait 2 mitrailleuses de capot MG 17 et deux
autres de voilure de calibre identique. Prévu pour accomplir
des missions longue distance, il emportait un réservoir auxiliaire
fixé à des points d'emports ventraux.
Le E-9 réunissait plusieurs des modifications ou innovations
apportées sur la série E : réservé à
la reconnaissance photographique, il mettait en oeuvre une caméra
située juste à l'arrière du cockpit et était
propulsé par un DB 601N. Son armement consistait en 2 mitrailleuses
de capot MG 17 et deux canons de voilure.
Les
versions tropicalisées
De
la fin de l'année 1939 au début de 1942, de très
nombreuses transformations furent opérées sur le Bf
109 E. Il y eut les versions tropicalisées E-4, E-5 et E-7.
Le sable et la poussière au milieu desquels évoluaient
les appareils en Afrique du Nord nécessitèrent l'adoption
de filtres spéciaux sur l'entrée d'air du compresseur.
De plus, un équipement de survie composé d'une carabine
légère, de la nourriture, de l'eau et des moyens de
signalisation fut installé. Les versions tropicalisées
reçurent la désignation "Trop".
Les
projets expérimentaux
Des
appareils furent dotés de skis ou de réservoirs d'intrados
et d'extrados. Le E-8 doté de skis effectua plusieurs essais
avec des skis ou un petit chariot à roues facilitant le décollage.
Les problèmes aérodynamiques résultant de l'utilisation
des skis conduisirent à l'abandon du projet.
En 1942, soucieux d'allonger le rayon d'action limité du
"Emil", les Allemands équipèrent un E-4
avec des réservoirs d'intrados et d'extrados. Cette installation
n'altérait pas les caractéristiques aérodynamiques
mais provoquaient des perturbations dans la maniabilité et
le comportement en virage.
Au cours de l'été 1943, la Luftwaffe eut besoin d'un
avion capable de déposer des hommes et du matériel
derrière les lignes ennemies pour conduire des actions de
sabotage ou d'espionnage. Un Bf 109 E-4 fut modifié en conséquence,
l'intrados d'une de ses ailes recevant un conteneur profilé
dans lequel pouvait prendre place un homme avec son parachute et
tout son équipement de survie. L'appareil fut testé
de manière satisfaisante sur l'aérodrome de Stuttgart-Ruit
mais on ne possède aucune preuve de l'utilisation opérationnelle
de cette variante du E-4.